J'ai déjà écrit un article intitulé
Démissionner de l'Éducation Nationale.
Même si j'ai été tout à fait honnête dans ce papier, par peur de manquer d'objectivité, j'ai été beaucoup
trop mesuré dans mes propos et je n'ai pas dit l'essentiel. C'est la raison pour
laquelle j'y reviens à nouveau pour clore cette série du Petit Journal d'un Prof de musique.
Oui, c'est vrai, j'ai bien eu un grave problème de cordes vocales qui m'a laissé la voix fatiguée et m'a
privé d'un atout très précieux dans mon boulot. C'est important et ça a joué dans la décision.
Oui, je trouvais les programmes de musique (et je les trouve encore) atrocement mal fichus, rigides, peu
enclins à développer la musique dans les classes et déconnectés des réalités. Ça ne rendait pas le travail plus
agréable, c'est certain.
Il est vrai que j'étais aussi très heureux de pouvoir être mon propre patron, de pouvoir organiser mes
journées à ma guise et de pouvoir dire que j'avais créé mon travail de mes propres mains.
Mais pourquoi quitter un emploi pas trop fatigant (surtout à 15 heures), avec un salaire intéressant et assuré
jusqu'à la retraite pour me lancer dans une création de société si c'est pour avoir des horaires beaucoup plus chargés, avec une
partie administrative importante (malheureusement) et un salaire fluctuant, sans même parler des risques d'échec ? Et pourquoi
je ne le regrette pas même si la partie pédagogie me manque bien souvent ?
Une gestion inhumaine
Parce qu'être prof, en France, c'est être tout au bas d'une échelle de décision imperméable et inhumaine,
dans laquelle les grands comme les petits n'ont pas vraiment le droit de s'exprimer. L'élève, de son côté, doit se conformer
à ce qui a été prévu pour lui, indépendamment de ses centres d'intérêt et de son caractère, ce qui est cause de tant d'échecs.
L'enseignant, de son côté, se retrouve avec tous les inconvénients d'un travail de cadre à responsabilité, sans en avoir les
avantages : s'il veut bien faire son travail, il ne compte pas ses heures à la maison mais ne sera pas rémunéré ou récompensé
en conséquence. J'ai vu trop de jeunes professeurs se démener pour faire des choses extraordinaires dans et hors de la classe
(j'en ai fait partie), sans aucune réelle récompense, devant le regard vide des plus anciens, déjà hors classe (c'est à dire
payés au maximum de ce qu'ils pouvaient être), qui avaient oublié qu'eux-aussi, il y a très longtemps, avaient eu envie de faire des
choses bien. Je passe les cas particuliers où le professeur qui veut trop faire les choses bien ne s'attire que la jalousie et
les foudres des collègues.
J'ai vu trop de professeurs de musique en déprime, certains en dépression grave, pour ne plus avoir été capables
de trouver leur place dans ce système. J'en ai remplacé et côtoyé un grand nombre. La seule façon de s'en sortir pour eux n'était
pas de redevenir le prof extraordinaire qu'ils avaient été mais, au contraire, de se détacher complètement du travail,
de ne plus y attacher autant d'importance ; en d'autres termes, d'en faire le minimum et de trouver des moyens d'épanouissement
en dehors du collège.
Travailler dans le stress
Et je ne leur jette pas la pierre. Mais comment en sont-ils arrivés là ? Je n'ai pas forcément LA réponse à
cette question mais j'ai remarqué, en douze ans de carrière, qu'il était très difficile de s'épanouir dans le métier de professeur.
Bien sûr, les conditions de travail ne sont pas toujours idéales mais ce n'est pas ça. Je l'ai vécu également : lorsqu'on est
dans des conditions difficiles et que l'on nous dit : "Faites votre possible. Si un enfant a du mal à rester plus de 10 minutes
assis sur sa chaise, y parvenir sera déjà bien. Telle classe n'a pas les bases, prenez le temps qu'il faut pour qu'ils les
retrouvent, vous avancerez plus tard.", on est beaucoup plus détendu et il n'y a pas culpabilisation (ce qui n'empêche pas d'être
crevé le soir et de se souhaiter des conditions de travail plus confortables). À l'inverse, et ceci tout à fait indépendamment du
niveau des élèves ou de l'aspect comportemental, lorsque de toutes parts (les programmes, la hiérarchie et malheureusement les
collègues), tout tourne autour de "les élèves devraient savoir faire ceci, les élèves devraient connaître cela, tu ne devrais pas
avoir de problèmes de discipline dans ta classe", une tension se crée et le professeur n'arrive plus à prendre les élèves comme
ils sont. Il en découle un stress important pour tout le monde.
Oui, c'est là la raison pour laquelle je n'ai pas tenu à rester professeur. J'avais l'impression de me battre
contre des moulins à vent. Après des semaines et des semaines à tenter de redonner confiance à un élève, tout pouvait être détruit
par des appréciations désastreuses et culpabilisantes sur les bulletins. Je pèse mes mots : c'est tout un système de destruction de
la personnalité de l'élève qui a fini par me rendre malade ! Nous avons d'un côté des profs qui rentrent tous dans le métier avec
l'envie de faire des choses formidables, de l'autre côté des élèves qui rentrent en primaire avec les yeux qui pétillent
(puis souvent au collège avec un regard plein de méfiance), et ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Les parents ? Les moyens accordés ?
Les notes ? Le temps de travail ? Combien de temps continuera-t-on à accuser le voisin ou à mettre du mercurochrome sur une jambe
de bois pour ne pas avoir à se poser les vraies questions ?
- aucune évolution possible dans le métier : obtenir par exemple un poste en lycée relève du parcours du combattant.
- Le nombre élevé d'élèves : autour de 500 par prof par semaine.
- la chorale comme support de la fête de fin d'année au collège: une horreur à gérer, un cauchemar.
- et surtout : moins on en fait, moins on s'expose aux critiques...pour le même salaire...