Monsieur Leclerc, un homme qui a influencé la vie de centaines et milliers d'élèves
sur les bancs de la fac de musicologie de Dijon et au conservatoire régional de Bourgogne par ses qualités musicales,
son sérieux, par son humour cinglant et ses réflexions choc. Cet article évoquera le professeur d'harmonie de la fin
des années 90. Celui des années 2000 était peut-être tout à fait différent.
Il est l'heure, la porte s'ouvre. Le petit groupe que nous sommes (15 en première année,
8 en contrepoint ou en dernière année) entre dans la salle et tire les chaises à tablettes près du piano pour une première
partie de cours toujours identique : la correction des devoirs. Les longs doigts presque stravinskiesques de notre mentor
s'agitent et pratiquent une réduction à vue de nos pattes de mouches écrites sur quatre portées de quatuor à cordes.
La valse du stylo rouge et la gigue des réflexions vexantes commencent. Vexantes uniquement pour ceux qui n'ont pas cerné
que le bonhomme, il est vrai parfois maladroit, ne nous voulait aucun mal.
Car Monsieur Guy Leclerc, je vous laisse juger s'il s'agit d'un défaut, ne supporte pas
la médiocrité, il faut le noter. Il lui arrive parfois de la balayer d'un revers de main dédaigneux. C'est la
raison pour laquelle il pouvait être autant detesté qu'adulé par ses élèves, surtout à l'université. Le conservatoire
a d'ailleurs toujours eu sa préférence sur la fac de musico. Et pourtant les bancs étaient
toujours remplis pour ses cours. Il était bien le seul à pouvoir s'en vanter. Comment cela se fait-il ? Ses
détracteurs étaient parfaitement conscients des qualités de leur bourreau et savaient ce que ce dernier pouvait
leur apporter. En outre, un cours d'harmonie, ça ne s'invente pas. C'est quelque chose de très précis et à trop
bouder les cours, on risquait de se retrouver avec une très mauvaise note lors de l'examen final.
Un exemple assez édifiant. En 1997, pour soulager le cours d'"Harmonisation jazz", pour
les licences (troisième année), M. Leclerc ouvre un cours d'"Harmonisation au piano". Les élèves se séparent
à peu près en deux parties égales (une trentaine d'élèves dans chaque cours). L'année suivante, l'année de ma
licence, 4 élèves sur 70 sont inscrits à ce cours. Ah... il paraît que c'est difficile et que le prof est assez
intransigeant. Moi, je dis que c'est de la bonne intransigeance. Je n'ai jamais été aussi sérieux avec un cours
de toute ma vie. Je n'ai jamais autant travaillé et jamais autant progressé aussi bien en piano qu'en harmonie. Il y
avait une crainte et un respect presque filial de ma part pour ce père de famille.
Mais retournons dans la salle B12 du conservatoire de Dijon (je dis n'importe quoi,
je ne me rappelle plus du nom des salles !). La correction est finie. Tirons maintenant les chaises vers l'arrière
pour une partie plus théorique. Tableau blanc. Quelle position privilégier pour cet accord, comment amener ce retard,
comment préparer sa septième, comment décoder certains enchaînements d'une basse chiffrée, comment enchaîner les
différentes voix du fugato, les caractéristiques du style Schumann... puis le devoir de la semaine suivante. Toujours
impeccablement édité sur le logiciel Finale pour Mac. Premiers conseils, pièges à éviter puis début d'harmonisation
en silence jusqu'à la fin du cours. Il conversait volontiers à base d'idiomes ou d'expressions. "Qui veut voyager loin
ménage sa monture" revenant souvent pour moi. Je ne sais pas pourquoi. Non... je mens... je sais pourquoi. Malgré le
respect que j'avais pour le cours et même si je n'en ai pas manqué beaucoup et si mes devoirs étaient toujours faits,
je travaillais vite et assez bien, défaut que je traînais depuis tout petit. Il m'a fallu des années avant d'arriver
à travailler pas trop vite et bien. Il m'en faudra peut-être encore autant avant d'arriver à travailler au bon rythme
(ni plus ni moins) et très bien.
Je voudrais remercier chaleureusement Monsieur Leclerc pour la qualité de son
enseignement, pour le sérieux qu'il a toujours mis à son travail et à l'accompagnement de chacun de ses élèves,
pour s'être déplacé pour les concerts ou concerts-lectures de qualités très aléatoires de ses étudiants et pour
m'avoir fait, personnellement, progresser plus que je ne l'espérais.