Alfred Brendel - Abécédaire d'un pianiste - Cadeau musical

Alfred Brendel - Abécédaire d'un pianiste

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Ce livre distille ce que j'ai à dire, arrivé à un âge avancé, sur la musique, les musiciens et ma profession en général. Mon deuxième métier, la littérature, m'impose en l'occurrence de dire les choses simplement, mais sans simplifier outre mesure. Mon goût de l'aphorisme et du fragment n'est pas non plus absent de cette histoire. Je ne recherche pas l'exhaustivité. J'invite ceux qui ne connaissent pas mes essais et mes entretiens avec Martin Meyer à s'y reporter pour prolonger et élargir leur lecture. Je voudrais notamment renvoyer au chapitre consacré à l'interprétation dans Le Voile de l'ordre.



On peut s'abandonner en quelque sorte les yeux fermés à la musique, la «rendre» simple sans y réfléchir. On peut la formaliser, l'intellectualiser, la psychologiser, la poétiser. On peut, si l'on y tient, énoncer sous l'angle sociologique ce qu'elle doit être ou ne pas être. On peut extraire des morceaux leur nature profonde ou bien leur injecter ce qu'ils doivent être. J'ai au moins évité cette dernière attitude autant que faire se pouvait. Le besoin de me confronter à la musique, d'en avoir pleinement conscience, d'associer la musique et le goût du langage, ne m'a pas abandonné.

Le mot de «grand maître» que j'utilise ici paraîtra peut-être désuet à certains, ou évoquera même des termes ironiques, comme ceux de «grand critique» ou «grand écrivain». Il révèle cependant quelque chose de cette vénération étonnée dans laquelle me plonge la grande musique. Je l'utilise lorsque les compositeurs concernés me paraissent surpasser les autres dans leur maniement de certaines formes ou de certains genres. La grandeur, le génie et la maîtrise sont des mots dont mon vocabulaire ne peut faire l'économie.

Les noms de compositeurs évoqués en détail dans ce livre ne vont pas jusqu'au XXe siècle - mais que l'on n'en tire pas de conclusions erronées. L'absence d'hommage à Debussy et Ravel, à Schoenberg, Bartók ou Stravinski par exemple, ou à des compositeurs plus récents comme Messiaen et Ligeti, tient au fait que mon propre répertoire était majoritairement lié à une époque musicale qui prenait encore ses racines dans le cantabile. J'aimerais dire qu'elle fut l'apogée de la musique pour piano. Le XXe siècle a, par la suite, en bonne partie abandonné cette base chantée. Ceux qui me connaissent savent avec quelle passion je me suis consacré, en tant que témoin auditif, à la musique des cent dernières années. Quelques rares compositeurs ont pris pour la première fois, vers 1908-1909, le risque de tirer les conséquences de la liquidation du système tonal ; ce fut un acte héroïque auquel je ne saurais vouer assez d'admiration. Du reste, j'ai joué soixante-huit fois et sur cinq continents le Concerto pour piano de Schoenberg. On trouve parmi mes essais un texte qui se confronte à cette oeuvre.

La rédaction de ce livre a été menée à bien sous l'amicale égide du Wissenschaftskolleg de Berlin. J'ai reçu l'aide très précieuse de Monika Möllering, Till Fellner, Georges Starobinski et Maria Majno. Je remercie tout particulièrement Chara Iacovidou, pianiste et linguiste accomplie, de ses suggestions pertinentes lors de son travail sur la version française du texte. Je dédie cet ouvrage aux musiciens qui m'ont donné des points de repère, avec admiration ou en désaccord amical ; aux auditeurs avec ma gratitude ; et aux grands compositeurs avec amour.

Broché : 160 pages
Editeur : Christian Bourgois Editeur (30 septembre 2014)



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